7 Apr, 2025

OPINION: Pertinence d’une charte européenne de l’aidant familial

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OPINION: Pertinence d’une charte européenne de l’aidant familial

Je suis co-présidente de la Plateforme Handicap de COFACE Familles Europe, une plateforme fondée il y a près de 30 ans pour promouvoir les intérêts des personnes handicapées, de leurs familles et de leurs aidants, ainsi que la reconnaissance de leurs droits tout au long de la vie. J’ai eu le plaisir de parler de notre travail en Europe lors d’une journée d’études (Cap’Lab) dans le cadre d’un programme prioritaire de recherches sur l’autonomie (PPR Autonomie).

En Europe, 80% des soins sont assurés à domicile par des membres de la famille ou des amis et 2 personnes sur 10 sont aidantes en moyenne[1]. Parmi elles, 32 millions de femmes, qui aident 17 h par semaine selon l’Organisation Mondiale de la Santé.

Jusque dans les années 60, l’aidant familial n’existe pas car ce rôle se confond avec celui d’une femme, mère, épouse ou fille, qui a pour tout univers la bonne tenue de sa maison, l’éducation de ses enfants et le confort de son époux – à charge pour ce dernier de rapporter l’argent nécessaire au foyer. Prendre soin d’un parent vieillissant en perte d’autonomie, d’un enfant ou d’un conjoint qui n’est pas valide lui incombe tout « naturellement ». Cela était de bon ton, et c’était aussi son devoir. Sans compter que la femme est réputée prédisposée au maternage et aux soins à apporter à autrui ! Les stéréotypes en la matière sont toujours vivaces. Jusque dans la première moitié du XXe siècle, ce fait n’est questionné par personne, pas même par les principales intéressées. Cette aide à un proche est « naturelle », dénuée de valeur et de reconnaissance.

Cependant, lorsque les femmes ont progressivement quitté leur cuisine pour entrer sur le marché du travail, une profonde transition sociétale s’est opérée au sein de la structure familiale. Ce fait, associé au vieillissement actuel de la population, a mis en évidence la valeur du travail de soins familiaux et les risques qui y sont associés. Au fur et à mesure que les soins familiaux devenaient l’objet d’un examen de plus en plus minutieux, les questions liées à l’efficacité des échanges au sein du ménage sont entrées dans la sphère publique. Déchaux (1996) a illustré cette approche en parlant de “l’économie cachée de la parenté”. Sous-jacente à ces tendances, une autre question est devenue centrale : allons-nous manquer d’aidants ?

C’est dans ce contexte qu’en 2003 la plateforme COFACE Disability décide de mener une réflexion approfondie sur ces « aidants naturels » ou proches aidants ou encore le plus souvent en Europe ces « aidants informels » majoritairement des femmes qui, de nos jours, doivent concilier vie familiale et vie professionnelle, perdre des ressources, et hypothéquer leur santé. Nous commençons donc par un état des lieux européen (COFACE Disablity 2003), qui nous montre que dans l’ensemble ces aidants n’ont ni droits spécifiques, ni reconnaissance, et ne reçoivent qu’un soutien minime voire aucun soutien, à l’exception du Luxembourg, du Royaume Uni et de la Suède qui disposaient à l’époque d’une législation avancée sur le sujet. Selon les états, le terme d’« aidant » n’existe pas, et quand il existe est indifféremment accolé à « naturel », « informel », ou « de fait » des termes lourds de sens, renvoyant à l’évidence et au naturel de l’aide des mères, conjoints ou enfants qui ne font que leur devoir !

Forts de ces résultats, nous avons constitué un groupe de travail chargé d’élaborer une Charte relative aux droits fondamentaux des « aidants familiaux » et décidé de rédiger un cahier de revendications et de recommandations auprès des instances publiques étatiques et européennes. Dans un premier temps nous nous sommes accordés sur une définition « européenne » de celui/celle que nous avons choisi de nommer « aidant familial », car issu de la famille dans près de 98 % des cas. Le groupe de travail a pesé chaque mot, chaque phrase, chaque idée, qui ont été travaillés et retravaillés jusqu’à ce que, au-delà des politiques, des cultures, des langues, des pratiques et des lignes associatives, chacun soit d’accord avec les termes utilisés et se les approprie pour une définition de l’aidant familial et la déclinaison d’un certain nombre de principes.

Éditée en 2007 et actualisée en 2024 la « Charte européenne de l’aidant familial » a été élaborée comme un outil de référence à mettre en œuvre par diverses organisations représentant les personnes handicapées, âgées et/ou ayant des besoins complexes et leurs familles dans l’Union européenne, ainsi que par les institutions de l’Union. La Charte s’inscrit dans la lignée de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (UNCRPD) et d’autres textes internationaux majeurs des Nations Unies, du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et du Forum européen des personnes handicapées. Des textes qui concernent directement la vie, la dignité, les droits, l’égalité, la non-discrimination, l’accès aux services et la pleine citoyenneté des personnes handicapées, de leurs familles et de leurs aidants. Le lien entre la CIDPH et la Charte est d’autant plus fort que le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a rendu une décision importante concernant les droits des aidants familiaux en octobre 2022. Dans cette décision historique, le Comité a spécifiquement noté que les États parties à la Convention ont le devoir de fournir des services de soutien adéquats aux aidants familiaux afin qu’ils puissent à leur tour aider leurs proches à vivre de manière indépendante dans la communauté.

  • La charte participe à la visibilisation de l’aidant qu’elle nomme et définit permettant de savoir de qui on parle précisément. Elle les fait exister ailleurs que dans l’espace privé en publicisant le rôle inestimable de ces acteurs économiques.
  • La charte énonce des droits précis correspondants aux besoins des aidants et peut être ainsi utilisée par les autorités publiques dans leur devoir de solidarité et de respect des droits fondamentaux des aidants et des personnes aidées.
  • La charte est utile à la conscientisation par les aidants de ce rôle particulier qu’ils ont endossé, car se sentir aidant ou accepter de l’être, reste à ce jour un processus difficile pour nombre d’entre eux, qui ne recourent pas à leurs droits. Reconnaître que l’on est un aidant peut permettre d’exprimer ses propres besoins et son choix d’aider ou non, ou d’aider un peu. Cela leur permet de dire “je ne suis pas le seul à vivre cela, j’ai le droit d’être fatigué, de demander de l’aide, de vouloir des aménagements de mon temps de travail, du répit, etc.

La charte vient en appui des textes et positions existantes et se veut un outil de référence, un outil de lobbying européen et national. Si COFACE Disability a choisi de l’actualiser, c’est aussi pour mettre en évidence la persistance et l’installation croissante de situations d’extrême vulnérabilité pour de nombreuses familles et plus particulièrement pour les femmes et les jeunes aidants.

Notre ambition initiale était de faire naître et se développer un véritable souci politique, pour les besoins des aidants, et si des progrès significatifs ont été accomplis, il en reste cependant beaucoup à faire dans le contexte actuel particulièrement tendu de l’aide aux personnes et du processus de vieillissement démographique et de disponibilité insuffisante des services d’accompagnement.

Une étude de la COFACE de 2017, intitulée “Who cares : Study of the challenges and needs of family carers in Europe”, montre que les aidants constituent toujours une main-d’œuvre invisible et représentent l’un des groupes les moins écoutés. Le dernier avis du Comité économique et social européen de juillet 2024 appelle également la Commission à faire des aidants informels une priorité absolue dans la stratégie de soins de longue durée.

[1] [Source: Global state of caring, International Alliance of Carer Organizations, juin 2021]

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Lectures complémentaires

Charte européenne de l’aidant familial, proche aidant ou aidant proche  (COFACE Disability, 2024)
Avis du Comité économique et social européen sur les aidants (EESC, 2024)
Key Findings: Family carers in Europe today | COFACE Round Table (COFACE, 2024)
Etre aidant en Europe aujourd’hui: Etude sur les besoins et défis rencontrés par les aidants familiaux en Europe (COFACE Disability, 2017)

À propos de l’auteur : Chantal Bruno est psycho-sociologue et formatrice à l’Institut de travail social d’Aquitaine (Talence) et à l’APF France Handicap. Elle a été infirmière en mission humanitaire au Liban et en Afghanistan en 1983 et 1984 pour l’Aide médicale internationale. Elle représente l’APF en tant que présidente de COFACE Handicap (Europe) et du Collectif inter-associatif de l’aide aux aidants familiaux (CIAAF).

**NB : Toutes les opinions exprimées dans cet article reflètent le point de vue de l’auteur, et non celui de COFACE Familles Europe**

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